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Le Chef de l’Élysée

 

«Dans un restaurant, quand on loupe un plat, le client ne revient pas, 
ici, c’est le contraire, c’est moi qui part, on n’a pas le droit à l’erreur»

Cette pression, Bernard Vaussion a su la digérer. Et faire avec. Chef des cuisines de l’Elysée depuis 40 ans, il en a vu passer des présidents français ou pas. Né dans un château en Sologne, c’est sa mère cuisinière qui lui transmet la passion. D’un château, il est passé à un autre…

De septennat en quinquennat, Pompidou quelques mois avant sa mort, puis Giscard,  Mitterrand, Chirac, Sarkozy et Hollande. Quand il raconte des histoires, on connaît de nom les personnes qui sont passées à sa table. Aujourd’hui ce sont des Canadiens, au menu ce midi et servis chauds : fleurs de courgettes farcies avec une duxelle de champignons, pâtissons et sa compotée de tomates, poivrons et viande d’agneau confit, aubergine roulée au parmesan, tomates-cerises confites, petits mignons d’agneau grillés, ou panés aux graines de sésame, en dessert, entremet chocolat framboise vanille, sucre coulé et pièce en sucre. Tout est photographié, et rien qu’à regarder, on est déjà alléché. Le chef n’a pas de spécialité, mais des spécificités. Car à l’Elysée, «contrairement à un restaurant, on n’a pas de carte, nous, mine de rien, il faut réfléchir et chercher comment on va faire le plat de demain, ça change tout le temps ! Tous les jours ! C’est la difficulté de la maison». Il dit ne pas avoir d’idées, mais il est très organisé : «je garde beaucoup de garnitures en réserve que j’accommode, que je croise». Ici, les commandes de produits frais sont quotidiennes. À Rungis, mais aussi à Paris, pour plus de commodités et par nécessité, car le Marché d’Intérêt National (M.I.N) après 16h, c’est terminé.  Tout est fait maison, foie gras, saumon fumé et chocolat. Jamais de pertes, s’il y a des restes, ils sont servis le lendemain au personnel de l’Elysée. La journée finit, on repart à zéro le lendemain.

«On a trouvé ça très bien»

Les cuisines sont au sous-sol, ça tombe bien, ce chef-là est discret et ne veut pas de notoriété, la reconnaissance de ses paires oui : «être cuisinier et puis voilà !» Sollicité par de grand media, il les a éconduit. «On a vocation à rester dans l’ombre». D’ailleurs, aller en salle, ça ne lui irait pas. «Quand les gens sont ravis, moi je suis content». Pas de franches félicitations de la part de ses hôtes, des compliments mesurés «on a trouvé ça très bien», «vous nous le referez». L’envie, le partage, voilà les moteurs de notre homme réservé.

Chef du club des chefs de chefs, il réunit chaque année ses collègues d’une trentaine de pays. Ils s’échangent des tuyaux sur leur patron respectif. De petits fiches particulières sont établies avec des consignes. Mais chut nous n’en saurons rien ! Ces précieuses informations lui font gagner un temps précieux, nous confie-t-il quand même.

Deux couverts : Messieurs Trenet et Mitterand

Très peu de mauvais souvenirs, car l’équipe dirigée par ce chef expérimenté, est composée de garçons efficaces. Parfois, l’impondérable : un maître d’hôtel qui se prend les pieds dans le tapis, dans les marches, le plat tombe et c’est foutu. Heureusement, il sait se préserver et prévoit toujours un peu plus que la quantité nécessaire pour pallier toute chute regrettable. Et reconstituer le plat aussitôt.

En mémoire pourtant, un mémorable déjeuner, deux couverts. Messieurs Trenet et Mitterrand. Le Président de la République avait pris soin de l’inviter en tête à tête. Menu imprimé, foie gras chaud poêlé annoncé. Mais voilà ! Plutôt que poêlé le foie gras s’est désintégré, Bernard Vaussion, simple cuisinier à l’époque n’a pas pu le présenter. Le Chef d’alors ne l’a pas réussi, non plus. Après avoir viré au vert, bleu et puis rouge, le Chef cuisinier (pas le foie gras !) essuie une colère, celle du président. Il a fallu réaliser une autre entrée et faire des excuses aussi. Voilà c’est passé. Après coup, nous précise le chef d’aujourd’hui, le foie gras était un peu pâle : «on n’aurait dû faire plus attention».

Au Palais, 20 cuisiniers aux manettes, 200 couverts par jour (une moyenne, car il n’y a pas une journée pareille, en fonction de l’actualité présidentielle, c’est 400 couverts un jour, 100 le lendemain) pour nourrir le président, ses invités et le personnel de l’Elysée qui ne peut pas bouger :  les médecins, les cuisiniers, les maîtres d’hôtel, les argentiers, les lingères, la sécurité rapprochée, ou encore les secrétaires qui ne sortent pas, les conseillers du président qui ont des salles à manger de travail. Une commande quotidienne de produits frais et des repas 7 jours sur 7. C’est une machine bien rodée, dirigée par des mains de maître à l’efficacité à toute épreuve. Un rouage essentiel à la bonne marche de l’Elysée, et tout roule, même s’il y a des problèmes, là-haut personne n’en saura jamais rien !

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G20 culinaire

Bernard Vaussion (quarante ans de services dans les cuisines de l’Élysée, pour six présidents), Ulrich Kerz (chancellerie allemande) et leurs pairs du Kremlin, de la Maison Blanche, de Buckingham Palace, du Parlement de Pékin, d’Afrique du Sud ou encore du Sri Lanka seront reçus par Mme Merkel, le vendredi 20 juillet 2012, puis par M. Hollande, le mardi 24 juillet.
RÉUNION ANNUELLE
Rassemblés depuis 1977 au sein du Club des chefs des chefs, les membres – vingt-cinq au total – célébreront également les trente-cinq ans de cette association qui les réunit chaque année dans un pays du globe depuis sa création par Gilles Bragard, fin connaisseur de ceux qui dirigent les cuisines d’État, princières ou royales.
« En 1978, ce fut en France, en 1980, en Suède, à l’initiative du roi Carl Gustaf, aujourd’hui cela continue avec bonheur, l’objectif étant de faire découvrir la gastronomie et l’art de vivre de chaque pays visité à nos chefs », se réjouit Gilles Bragard. Au-delà de l’aspect diplomatique, il sera avant tout question de gastronomie, affirme ce dernier, « avec un déjeuner concocté conjointement par le chef de l’Élysée, Bernard Vaussion, et Ulrich Kerz : du turbot certainement côté français et quelque chose de très allemand, mais peut-être pas du jarret de porc et de la choucroute, car Angela Merkel adore les légumes ».
A Paris, les chefs seront reçus par Alain Ducasse au restaurant de la tour Eiffel, Le Jules Verne, où ils devraient se régaler, entre autres, d’une « pince de crabe et navets croquants marinés », de « langoustines dorées et légumes acidulés », « d’un grenadin de veau au sautoir et ses girolles grillées » et de « fraises des bois dans leur jus tiède accompagnées d’un sorbet au fromage blanc », selon le « projet de menu ».
SOUPE AUX TRUFFES « VGE »
Mais les choses ne sont pas toujours simples… « Il y a des choses [que les grands de ce monde] n’aiment pas. François Hollande, ce sont les artichauts. Mme Obama est en croisade contre l’obésité des adolescents et elle tient aux légumes. Elle a fait planter un potager à la Maison Blanche. Hillary Clinton s’était séparée du chef français de l’époque, estimant sa cuisine trop riche », raconte M. Bragard.
Si François Mitterrand « adorait les fruits de mer et le foie gras et s’était attaché les services d’une cuisinière du Sud-Ouest », il fut contraint par sa maladie de se résoudre à des « menus préparés en accord avec son médecin », ajoute-t-il. Le président sortant, Nicolas Sarkozy, avait pour sa part banni le fromage des menus élyséens. Un élément réintroduit par François Hollande, et qui sera mis à l’honneur à l’occasion des célébrations du cinquantenaire de l’amitié franco-allemande, la chancelière allemande en étant aussi, selon les dires de M. Bragard, une fervente amatrice.
Dans la droite lignée de la première rencontre organisée à Paris par Henry Haller, chef de l’ex-président américain Jimmy Carter, et Paul Bocuse, créateur de la soupe aux truffes « VGE » en l’honneur du président français de l’époque, Valéry Giscard d’Estaing, ce « G20 gastronomique » s’achèvera le 25 juillet par une visite de la manufacture de Sèvres et sera ponctué d’autres rendez-vous à Berlin (du 18 au 21 juillet – Reichstag, balade à vélo…) comme à Paris (du 22 au 25 juillet – Versailles, marché de Rungis…).
Le Monde.fr avec AFP 17.07.2012

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